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Bienvenida a Mexico

« Hola ! Soy Elisa ! »

Elisa ?! La voici donc, l’archéologue mexicaine qui m’a permis de venir jusqu’ici ?

Je suis arrivée au Mexique il y a deux jours. Un vol Paris – Texas – Cancun. Une nuit à Cancun. D’ailleurs quelle déception, Cancun. La ville n’est pas à la hauteur de son nom. Cancun. Caanncuunn. Cela chante, cela claque, c’est comme un bonbon tout sucré dans la bouche. Cancun. Je m’attends à des palmiers, à une belle plage de sable fin, des petites cabanes où l’on te sert des cocktails avec du sucre sur le rebord du verre. J’imagine un charmant village coloré, des mexicains à moustache portant fièrement leurs sombreros… Ok, là j’exagère… Mais quand même, avec un nom pareil, Cancun ne peut être que typiquement mexicaine et pleinement sympathique… Je fais mes premiers pas hors de l’aéroport. J’arrive de nuit, ça n’aide pas à se faire une vraie idée, mais bon, j’ai les yeux grands ouverts et je cherche ma Cancun rêvée… Première déception, je ne vois pas la mer… Elle est cachée par les innombrables buildings, ou « complexes hôteliers » qui se suivent les uns derrière les autres. Le minibus qui me transporte s’arrête régulièrement pour abandonner des touristes occidentaux dans chacun de ces paradis artificiels. Moi, j’ai choisi un hôtel en ville, histoire d’être au cœur de Cancun. Bon, le cœur de Cancun à cette heure-ci dort. La nuit ne permet pas de découvrir l’âme de la ville, j’arpenterai ses rues demain, et découvrirai à coup sûr les beautés qu’elle n’a pas encore su me dévoiler… 

Une nuit de sommeil plus tard, je me lance à l’assaut de la ville. Et je cherche. Je cherche. Je n’abandonne pas. Je cherche les petits bouibouis mexicains. Je cherche le charme chantant de la ville. Je cherche la longue plage dorée… Rien à faire. Cancun tombe de son piédestal. Tout en bas. Cancun n’est qu’un dortoir pour amerlocs friqués. Ils se sont même octroyés l’accès à la mer. Impossible de l’atteindre sans passer par l’un de ces hôtels à 20 étages. Cancun ne chante plus…

Je quitte donc cette ville-étape pour me diriger vers le but de mon voyage : Campeche. Deux bus, une étape à Merida, et j’arrive dans cette jolie ville coloniale. J’ai une adresse : L’INAH, ou l’Instituto Nacional de Antropologia et Historia[1], et un nom : Elisa Lopez. Je ne connais pas cette personne, mais elle m’a donnée la chance de ma vie, et l’occasion de réaliser l’un de mes rêves : travailler au cœur du monde maya. Je suis en licence de Guide Interprète National, et je dois réaliser un stage de fin d’année en tant que guide touristique dans l’entreprise de mon choix. Un peu par hasard, beaucoup par envie, j’ai écrit il y a quelques mois à l’ambassade de France au Mexique, qui m’a renvoyée vers une adresse mail de l’INAH à Mexico, qui m’a renvoyée vers l’adresse mail d’une archéologue, qui m’a renvoyée vers une adresse mail d’une autre archéologue nommée Elisa Lopez qui travaille à l’INAH de Campeche. Et avec toute la bienveillance et le sens de l’accueil des mexicains, Elisa m’a dit : « Viens ! En plus, je pourrai te loger ». Un énorme rêve qui se réalise. Bercée dans mon enfance par les « Cités d’Or », je me voyais depuis toute petite escalader les pyramides mayas…

Et voilà comment j’atterris à Campeche, petite ville coloniale au Nord-Ouest de la péninsule du Yucatan. J’ai donc une adresse : l’INAH, et un nom : Elisa Lopez.

Je débarque à l’INAH

L’INAH se trouve au cœur de la ville coloniale, dans un magnifique bâtiment tout de rouge vêtu. Je passe la porte de bois. Je suis pleine d’appréhension et en même temps pleine d’entrain.

« Bonjour ! Je souhaiterais parler à l’archéologue Elisa Lopez (mon sésame).

— Elisa ? Attends, je vais voir. Non elle n’est pas là (inquiétude). Tu viens pourquoi ?

— Je viens faire mon stage de guide et j’ai rendez-vous avec elle.

— Je ne suis pas au courant. Attends, je vais voir le directeur (re-inquiétude).

Bon, ça commence mal. Je suis à des milliers de kilomètres de chez moi avec un nom d’une personne qui n’est pas là… Espérons que le directeur soit informé de ma venue.

« Tu peux aller voir le directeur. »

Un mexicain trapu, ventru et moustachu m’accueille dans son bureau.

« Tu me dis que tu viens faire un stage ? On ne doit pas payer pour ton stage, car tu sais on n’a pas de sous pour ça.

— Non, non, ne vous inquiétez pas, je me le finance.

— Bon. Et tu dis que tu as eu contact avec Elisa ? Mais elle n’est pas là. Et nous on n’est pas au courant (jambes qui tremblent, début de panique, qu’est-ce que je fous là…)

Monsieur le directeur n’est pas des plus sympathiques. Pas non plus désagréable, non, il émet les faits, sans compassion ou sentiment aucun.

« Juana ! » appelle-t-il soudain.

Juana, une petite mexicaine boulotte à l’épaisse chevelure, passe la tête par la porte du bureau d’à côté.

« Oui directeur, répond-t-elle.

— Voici Aurelia (mon nouveau nom au Mexique), Elisa lui a dit qu’elle pouvait venir faire un stage ici et loger chez elle, mais elle n’est pas là, donc ce soir tu emmènes Aurelia et tu la fais dormir chez toi. »

La tête de Juana se décompose. Elle n’a pas l’air ravie d’accueillir une française qui débarque comme ça en plein milieu de la journée. Mais le directeur a dit, alors Juana accepte.

Juan ou l’hospitalité mexicaine (sic)

Juana a le sourire avare. Elle me toise, me parle peu. Je suis assise à côté d’elle dans son 4×4, et nous quittons le centre de Campeche pour sa banlieue. Les maisons se rétrécissent, et s’alignent les unes à côté des autres dans une enfilade sans fin. Moi j’ai les yeux écarquillés, j’essaie d’y rentrer tout ce qu’il est possible d’y mettre, même si, je l’avoue, le nœud à l’estomac me tient compagnie. Mon arrivée à Campeche n’a rien à voir avec ce que j’avais imaginé.

« Voilà où j’habite, me dit Juana en arrivant devant une maisonnette de couleur jaune, aux fenêtres armées de barreaux. Tu peux laisser ton sac ici. Moi je dors sur le hamac, tu pourras dormir sur ce matelas en-dessous de moi », me dit-elle en dépliant un futon.

Bon, en toute franchise, je ne me sens pas vraiment accueillie. Juana n’est pas l’exemple type de ce que l’on nomme l’hospitalité mexicaine. Je m’allonge sur mon matelas en laine, transpirant de tout mon être dans l’étouffant été tropical. Juana s’étire dans son hamac au-dessus de moi. Les larmes aux yeux, me demandant ce que je suis venue faire ici à des milliers de kilomètres de chez moi, je m’endors péniblement le regard rivé sur le va et vient du cul de mon hôte.

Le musée des stèles

Le lendemain, Juana me débarque au musée des stèles, dit deux mots à ses comparses, et me lance :

« Bon, je reviendrai te rechercher ce soir. »

En vérité, je n’ai AUCUNE envie qu’elle revienne me chercher. Je suis là pour deux mois, et il me parait vraiment compliqué de cohabiter tout ce temps-là avec quelqu’un qui ne veut pas de moi…

Au musée des stèles non plus ils ne sont pas au courant de ma venue. Mais cela ne semble pas les perturber. Je dirais même que je suis plutôt un phénomène curieux qui vient amener un peu de distraction dans leurs journées monotones. Tout le monde m’accueille aimablement et me fait faire le tour du musée. Et puis je découvre dans la salle du personnel la bibliothèque, où se trouvent tous les ouvrages sur la culture maya. Une mine d’or.

« Carlos, le guide officiel, n’est pas là pour le moment. Il y a aussi Pedro, lui il sera là demain, il pourra t’expliquer un peu le travail. En attendant, tu peux te documenter à l’aide de ces ouvrages. »

Et comment ! Je passe ma journée à les étudier.

Il est 16h00, je suis dans une aile du musée, et j’aperçois par la fenêtre un jeune homme dynamique se diriger à grands pas vers la salle du personnel. Je regarde un peu mieux, non, ce n’est pas un homme, plutôt une femme
 

androgyne. Pourquoi mon regard s’est-il accroché à elle ? Aucune idée. Quoiqu’il en soit, je traverse la cour et reviens dans ma salle d’étude. La jeune femme filiforme se tourne vers moi :

« Hola, soy Elisa ! »

Voilà ma fameuse archéologue, celle qui a fait le cadeau de m’inviter au Mexique sans me connaître. Elle a un grand sourire qui s’étend d’une oreille à l’autre.

« Je suis désolée, Aurelia, je n’ai pas fait attention à la date, et je n’étais pas là hier, je n’ai pas pu t’accueillir correctement. Viens, prends ta valise, je t’emmène chez moi ! »

Voici ma sauveuse. Douce libération. Je suis heureuse. Ce soir je ne dormirai pas sous le popotin de Juana.


[1] Institut National d’Anthropologie et d’Histoire


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